Le symbole de l’accessibilité
Vous l’avez sûrement déjà rencontré, ce signe graphique blanc sur fond bleu où une figure humaine schématique est assise sur un fauteuil roulant. Que ce soit sur une place de parking dédiée, une carte de stationnement nominative ou sur la porte de toilettes dans un lieu public, le pictogramme de l’accessibilité s’affiche partout dans le monde comme le signe généralisé indiquant les espaces réservés ou adaptés aux personnes en situation de handicap. Mais d’où vient-il et que raconte-t-il ? Et puis, qu’est-ce qu’un pictogramme au final ? Pour vous raconter cette histoire, je vous invite à remonter le temps et à me rejoindre au Danemark, à la fin des années 1960…
L’histoire du bonhomme sans tête 😱
Un beau jour de 1968, la graphiste danoise Susanne Koefoed choisit de participer au concours lancé par l'Institut suédois des handicapés : créer le symbole universel de l'accessibilité. Un symbole qui prend la forme d’un pictogramme, un dessin schématique autodescriptif, reconnaissable au premier coup d’oeil, même à une certaine distance.
Susanne griffonne, recherche, tâtonne… avant de proposer le projet gagnant : cinq lignes représentant un humain de profil, assis sur un demi-cercle représentant un fauteuil roulant.
Avant d’être proclamée grande gagnante du challenge, ce premier dessin a été légèrement remanié puisque… Le bonhomme stylisé n’avait pas de tête ! Et pour cause : Susanne n’avait pas en tête d’humaniser son pictogramme mais de représenter un fauteuil roulant vide… Un peu comme ce qu’avait proposé le designer Paul Arthur un an plus tôt, avec un schéma de chaise inséré dans un cercle. Voulait-il par là se concentrer sur l’objet qu'une personne à mobilité réduite utilise pour se déplacer, laissant le corps du côté des valides ?
Mais revenons-en à nos moutons : pour éviter la confusion d’avec un monogramme, il fut décider d’ajouter un cercle (la tête, donc) au sommet du personnage assis proposé par Susanne Koefoed. Et en 1969, la Commission Internationale sur la Technologie et l'Accessibilité (ICTA) a officiellement adopté le symbole international d'accessibilité.
Ce même symbole standardisé que vous avez sûrement croisé sans vous en rendre compte, existe depuis plus de cinquante ans ! Il indique, par exemple, les boutons utilisés pour activer les portes automatiques ou marque les espaces réservés aux personnes handicapées.
Le symbole international de l’accessibilité continue d'être reconnu dans le monde entier comme le pictogramme de référence des éléments et espaces accessibles. Mais avec un âge pareil, une petite mise au goût du jour s’imposait…
Le bonhomme fixe prend vie !
Une envie de dynamisme et d’humanité (1990-2000)
Comme tout symbole destiné à informer le public, son contenu graphique est normé. Cependant, cela n’empêche pas les créatifs de tout poil de s’en inspirer pour dessiner une variante, tant que le principe normé est respecté.
Aussi, à partir des années 1990, deux nouvelles versions du picto-symbole ont fait parler : celui du graphiste irlandais Brendan Murphy et celui du collectif new-yorkais Graphic Artists Guild. Le point commun du nouveau dessin ? La volonté de donner du mouvement, de la rondeur et de l’humain à un pictogramme par trop figé. Ces premières évolutions en annoncent une plus importante, portée par un mouvement militant.
The Accessible Icon Project (2009)
À partir de 200, dans la ville de Boston, plusieurs panneaux délimitant des espaces accessibles aux PMR ont été tagués du pictogramme de Brendran Murphy. Les responsables ? Sara Hendren et son acolyte graffeur Brian Glenney.
La designer américaine Sara Hendren, dont le travail est dédié à l’inclusivité des environnements urbains, avait repéré le travail de Brendan Murphy depuis quelques temps. Cela avait suffit pour relancer sa perplexité autour du pictogramme rectiligne de l’accessibilité, en vigueur depuis plus de quatre décennies.
Elle et Glenney ont alors entamé un projet d'art de rue en créant un pochoir à partir du dessin du Murphy. Parés de leur matrice, ils ont cherché à apposer ce design sur les panneaux portant le symbole dessiné par Koefoed (vous suivez ? Ça fait du monde !)
Pour aller plus loin, Hendren, Glenney et le designer Tim Ferguson Sauder ont dessiné un pictogramme mieux adapté à la réalisation de graffs : “l’action-icône” de l’accessibilité était née. Le pictogramme fait toujours écho à la silhouette originale, mais l’élan raconté par sa tête penchée vers l'avant et ses bras en mouvement a transformé le personnage stylisé en un décideur de sa mobilité.
The Accessible Icon Project est depuis un projet de design militant qui demande à chacun de se poser des questions sur l’accès aux environnements urbains et de parler de la politique du handicap dans des contextes locaux et mondiaux.
Bien que l'Organisation internationale de normalisation (ex-ICTA) s'est prononcée contre ce nouveau design, tout comme certains militants des droits des personnes handicapées, plusieurs états occidentaux ont été séduits par cette image signifiante, dynamique et plus actuelle que sa prédécesseure officielle. Mais est-il envisageable de créer un signe schématique mais signifiant, capable de raconter la pluralité des handicaps sans montrer ni un fauteuil roulant, ni même un corps humain ?
We define disabled (2020)
C’est une question à laquelle l’artiste Sarah a tenté de répondre au travers du projet WeDefineDisabled. L’artiste et militante américaine promeut l’utilisation d’un nouvel autocollant de stationnement : un simple cercle bleu, de la couleur désignant traditionnellement les emplacements dédiés aux PMR.
En retirant tout signe d’identification à une figure humaine et matérielle, Sarah a pour ambition de “faire prendre conscience de la beauté et de la diversité” de la communauté des personnes handicapées, trop réduite à la représentation d’un fauteuil roulant. Mais en optant pour une forme géométrique coloré mais minimaliste, le signe demandera un effort d’apprentissage et de mémorisation.
En conclusion
L’évolution du picto-symbole de l’accessibilité raconte toute la difficulté de la création d’un pictogramme : comment un signe aussi simple possible peut-il raconter, en un regard, toutes les nuances d’une situation, d’un environnement, d’un contexte ? Peut-on trouver un signe englobant qui soit pleinement inclusif ? Un signe qui raconte tous les handicaps ? Cela paraît bien challengeant… Mais pourquoi pas ? Ce qui est sûr, c’est que de plus en plus de signes vont naître des revendications de celleux considérés comme des minorités, et qui souhaitent être justement représentés.
Notes et définitions
- Un pictogramme est une représentation graphique simple, intelligible et signifiante d’une chose ou d’une idée.
- Un monogramme est une lettre ou un signe composé de plusieurs lettres agencées les unes avec les autres pour former une signature stylisée. Exemple : le logotype de la marque Yves-Saint-Laurent.
- La norme ISO 7001 spécifie les symboles graphiques destinés à l'information du public. Il est applicable aux symboles installés dans tous les lieux et secteurs d'accès public pour garantir une compréhension rapide, simple et universelle.
- Graphics Artists Guild : La Guilde des Artistes Graphiques
- PMR : Personnes à Mobilité Réduite
- WeDefineDisabled : “Nous définissons les personnes handicapées”, sous-entendu nous décidons de leur représentation.
Sources
- Le site du projet The Accessible Icon Project
- Le profil Instagram du projet #WeDefineDisabled
- Un article du Huffington Post sur la révision du symbole officiel
- Le pictogramme conçu par la Guilde des Artistes Visuels
- Les “symboles du possible” proposés par Decathlon Canada
- Un article de WeCapable sur les origines du symbole
- Une chronique autour de l’évolution du symbole
- L’article de Stephanie Collins sur le lien entre représentation du handicap et émojis.
Pour aller plus loin
- Le portfolio et les réflexions de Sara Hendren
- Le portfolio du designer Tim Sauder et les déclinaisons du pictogramme pour le taxi et le trail accessible
- Les émojis inclusifs proposés par le Comité Olympique de Paris 2024. À noter qu’avant 2019, il y avait “des émojis de magiciens, de sirènes (…), de zombies et de vampires. Mais (…) aucun ne présentait le moindre handicap.” commente Stephanie Collins dans un article publié en date du 11 février 2019 (lien dans les sources).
- Les symboles du possible de Decathlon Canada