Les polices accessibles aux personnes dyslexiques
Dyslexie : un mot bien complexe à lire, à épeler et à orthographier. Un comble puisque le mot désigne un trouble de la lecture et de l’écriture, qui touche environ une personne sur cinq dans le monde. Le choix d’une police de caractères particulière peut-il pallier ce handicap cognitif ?
De symboles tordus à la dyslexie
À la fin des années 1920, un neuropsychiatre du nom de Samuel Orton a remarqué que certains de ses jeunes patients inversaient des lettres similaires, comme le d et le b. La caractérisation de cette observation a alors pris le joli nom de strephosymbolia (littéralement, "symbole tordu"), assimilant la difficulté de lecture à un trouble visuel.
Tordons tout de suite le cou aux idées reçues : la dyslexie n’est ni un trouble de la vue, ni une propension à la paresse, et encore moins une question d’intelligence (on notera que Gustave Flaubert, Albert Einstein et Steve Jobs étaient dyslexiques).
La dyslexie fait partie des troubles spécifiques du langage et des apprentissages appelés “troubles DYS”. Elle freine la capacité d'une personne à lire et à écrire, soit parce que le lecteur n’arrive pas à décoder un texte, soit parce qu’il a des difficultés à constituer un lexique orthographique. En lisant, les lettres sont confondues, les syllabes se mélangent, les mots ne se forment pas… Ce qui impacte la compréhension du texte écrit. Quel plaisir y a-t-il alors à se saisir d’un livre quand l’acte de lecture amène une telle charge attentionnelle et cognitive, et qu’en plus de cela, tout le monde autour de soi semble y arriver sans encombre ?
Puisque les personnes atteintes de dyslexie ont plus de difficultés à accéder à l'information écrite, les professionnels, les familles et les lecteurs eux-mêmes entrent dans une quête incessante de solutions pour répondre à cette difficulté. Sur le marché, prismes aux verres teintés, lampes spéciales et lunettes magiques s’annoncent comme des remèdes pour pallier à ce handicap à la fois caché puis visible quand arrive le jour où le lecteur n’arrive plus à le compenser. Spoiler alert : il n’existe pas de méthode miracle pour "résoudre" ce trouble cognitif, qui ne disparaît pas à l’âge adulte comme par magie...
Alors, depuis quelque temps, de nouvelles ressources voient le jour : ouvrages numériques personnalisables, livres à la composition étudiée, et typographies estampillées DYS. Aident-elles réellement les lecteurs dyslexiques ? Qu’est-ce qui fait qu’une police de caractères est plus lisible qu'une autre pour un lecteur empêché ?
Les typographies “spéciales DYS”
L'utilisation d'une police de caractères, qu’elle soit pensée pour un public dyslexique ou non, n’est pas une solution clé-en-main pour pallier à la dyslexie. Cependant, elle peut être un outil pour répondre aux difficultés que le lecteur rencontre, tant dans un environnement scolaire que professionnel. Regardons cela de plus près.
Depuis l’arrivée d’OpenDys en 2011, de nombreuses variations de polices de cractères “spéciales DYS” ont vu le jour : Dyslexie, Lexia Readable, Andika, Sylexiad, Aravis, Read Regular, Inconstant Regular ou encore Sassoon. Étudions deux d'entre elles.
Des lettres fondues
OpenDyslexic (externe) est celle qui a le plus fait parler d’elle, proclamant que le dessin particulier de ses lettres, pensé par un designer lui-même dyslexique, encourage la lecture d’un texte. Avec ses lettres épaissies, un centre de gravité marqué vers le bas, des ouvertures plus généreuses et une inclinaison de l’axe prononcée, la typographie et son aspect fondu permettrait au lecteur de ne plus confondre des lettres en miroir (comme le b et le d) ou aux dessins similaires (comme la lettre M et la ligature RN).
Cette police a déjà été intégrée dans divers outils, notamment dans les liseuses. Cependant, il convient de rappeler qu’elle reste une option et ne convient pas à tous les lecteurs — nous y reviendrons un peu plus loin.
La petite Comic
Inconstant Regular est la dernière née de ces polices pensées pour les lecteurs dyslexiques. Portée par l’association Dyslexia Scotland (externe) et dessinée par le designer Daniel Brokstad, elle est à suivre de près. En effet, de par la grande variabilité de ses lettres, la diversité des jeux stylistiques et des alternatives contextuelles, elle promet une souplesse d’adaptation répondant aux besoins et à l’expérience de lecture de chacun. De plus, elle entend réconcilier lisibilité et esthétique — qui n’est pas le fort de la OpenDyslexic.
Intéressante aussi la campagne de communication autour de cette police (lien externe). En effet, l’association Scotland Dyslexia appuie le fait que sa création typographique n'est pas une solution unique mais “une invitation faite à tous les designers à créer des polices de caractères qui contribuent à rendre le design plus inclusif”. Un esprit d’ouverture plutôt qu’une dédicace à un trouble particulier : une approche moins stigmatisante ?
Une efficacité à prouver
Que dit la recherche à propos des “polices DYS” ? Et bien, elle n’en dit pas grand chose… Les études, majoritairement réalisées avec des lecteurs anglophones, se contredisent. Quand certains critiquent férocement les polices conçues spécialement pour les dyslexiques, d’autres sont plus nuancés en précisant que certaines polices peuvent éventuellement être efficaces en terme de vitesse de lecture. Ça ne nous aide pas vraiment, n’est-ce pas ?
Autre question : qu’en est-il de l’effet stigmatisant à devoir utiliser une police spéciale à des enfants puis des adultes moqués sur leur fainéantise voir sur leur niveau d’intelligence ? Proposer des solutions miracles et constater qu’elles ne fonctionnent pas pour tous n’est-il pas une réponse décourageante et même violente pour une personne qui a dû compenser toute sa vie pour répondre de son trouble ?
Il n’existe pas de preuve tangible sur l’amélioration de la vitesse de lecture ou de compréhension pour les dyslexiques via l’utilisation de polices de caractères spécifiques. S’il faut préférer les polices sans empattement, aucune n’est particulièrement recommandée pour les personnes dyslexiques.
5 astuces à la loupe
Quand on parle de dyslexie, ce qui fonctionne pour une personne ne fonctionne pas nécessairement pour une autre. Chaque individu, qu’il soit dyslexique ou non, a ses préférences de lecture (je fais partie de ces lecteurs qui n’arrivent pas à lire en mode sombre. Oui, ils existent).
S’il n'y a pas de solution miracle pour répondre à la dyslexie, il existe des astuces pour choisir une police de caractères qui pourrait pallier aux difficultés de lecture. Notez bien qu'il n'existe pas de "police parfaite" mais bien des indices qui peuvent aider à opter pour une telle ou pour une autre. En voici quelques-uns :
Bas les pattes
Les polices sans empattements (sans pieds ou extensions) comme Arial ou Verdana sont généralement plébiscitées pour leur visibilité. De plus, elles sont intégrées par défaut à vos outils numériques et donc connues, lues ou au moins régulièrement vues un grand nombre de lecteurs. Mélangez tout cela avec un corps (une taille) de police de grand minimum 12 points (équivalent 1-1.2em ou 16-19 px sur le web). Et oubliez le tout majuscule, l’italique et le soulignement !
Plaît-IL1il ?
Chaque signe typographique, que ce soit une lettre, un chiffre ou un glyphe, ont un dessin unique qui permet au lecteur de ne pas les confondre. Le test du “IL1il” en est un parfait exemple : pour certaines polices de caractères, le I et le L majuscules sont dessinés de la même manière que le chiffre 1 et le i minuscule. Lorsque vous choisissez une police de caractères, prenez soin de faire cette rapide vérification pour éviter d’ajouter de le confusion au trouble de la dyslexie.
Miroir, mon beau miroir
L’unicité du dessin de chaque signe typographique doit aussi être marqué pour les “lettres-miroir”, c’est-à-dire des lettres qui sont symétriquement identiques (comme le b et le d minuscules par exemple). On prendra donc soin de vérifier que ces lettres-ci sont bien différenciées.
Ça monte et ça descend
L'ascendante est la partie verticale d'une lettre qui s'élève au-dessus de sa hauteur de la lettre, comme la partie verticale du f ou du t. La descendante, quant à elle, est la partie qui descend sous la ligne de base du texte, comme pour les lettres j ou p. Des ascendantes et descendantes marquées aident à bien différencier chaque caractère typographique et à en assurer leur lisibilité.
Faire preuve d’ouverture
Dernier point à souligner : jeter un œil aux ouvertures à l'intérieur d'une lettre (comme sur la lettre "c" ou d'un "e" minuscule. Les caractères dont les ouvertures sont plus ouvertes (plus grandes) sont généralement plus lisibles.
Pour aller plus loin : la macrotypographie
La macrotypographie revient à prêter attention à la mise en page, les marges, les espaces et le contraste. En vous astreignant à prendre en main ces détails, vous pouvez être sûr de tabler sur un écrit lisible et organisé. J’appuie vraiment sur cette dimension non négligeable, qui est une composante essentielle d’un texte adapté aux lecteurs DYS et non DYS !
- Accentuer l’interlettrage et l’interlignage de vos textes est un indispensable.
- Certains lecteurs ont plus de facilité à aborder un texte calé sur une couleur de fond. D’autres seront plus fans des syllabes colorées.
- Pas besoin de justifier : le texte aligné à gauche est votre meilleur allié !
- On hiérarchise en pensant niveaux de titre, texte courant et listes à puces.
- Les hyperliens doivent ressembler à autre chose qu’à du texte courant.
- Les marges et le vide sont vos meilleurs amis 💛
- Optez si possible pour un papier mat pour éviter les reflets sur vos documents imprimés.
Conclusion
La dyslexie est un trouble cognitif qui gêne le processus mental de lecture et d’écriture. Alors comment une police de caractères pourrait-elle se targuer de restructurer un traitement neuronal ? On répétera à l’envie que le choix d’une police spécifique couplé à des réglages personnalisés va aider à construire un support plus adapté à la contrainte dyslexique.
Cet article ne fait référence qu’à une approche autour du texte et de l’écrit, mais d’autres solutions, comme le livre audio, sont autant de supports plébiscités par les principaux concernés.
Vous avez à disposition quelques astuces pour choisir une police de caractères lisible et l’accompagner de détails de mise en forme essentiels. Quel que soit votre choix pour composer vos supports de communication, gardez en tête cette donnée essentielle, rappelée sur la fiche mémo des Éditeurs Atypiques (externe) : “seul le lecteur peut choisir l’aide à la lecture dont il a besoin”.
Sources
- Un article sur les polices de caractères spéciales dyslexie par un site de ressources dédié à ce trouble
- La designer Romy Duhem-Verdière a déjà abordé ce sujet dans cet article de 2015
- Cette étude espagnole a testé plusieurs polices de caractères pour en déterminer laquelle était la plus lisible
- La Dyslexia British Association résume des astuces pour composer un document bureautique pour qu’il soit le plus accessible possible
- Un article corrosif sur les polices adaptées
- Gareth Ford Williams, spécialiste de l’accessibilité, porte un regard critique sur les polices estampillées DYS
- La police de caractères Inconstant Regular et ses origines
- Un article sur la dyslexie proposé par l’INSHEA
Ressources
- Mobidys propose de riches bibliothèques numériques qui aident à la lecture et à son apprentissage.
- Occitadys est une nouvelle association régionale au service des professionnels et des structures autour des troubles dys.
- Qu’est-ce qu’une police accessible ? Anne-Sophie vous raconte tout dans cet article fourni.
- La FFdys met à disposition ce guide des bonnes pratiques au travail pour les personnes dyslexiques.
- Ce projet d'illustrations réalisées pourr les Éditions Retz sont des solutions ludiques et colorées pour aider les élèves DYS dans l'apprentissage de la lecture.